Edith Soonckindt

Edith Soonckindt

Le portrait onirique de Edith Soonckindt

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La nuit, j’aimais la nuit. J’adorais me promener dans la ville, croiser des artistes noctambules, entendre les rires et les cris d’une jeunesse qui ne semblait rire que grâce à l’alcool. L’un d’entre eux, vêtu d’une très élégante veste rouge bordeaux, m’a dit : Docteur, ce n’est pas moi qui suis drôle, c’est l’alcool qui est marrant. Je ne sortais jamais sans mon couteau à double tranchant, une agression est bien trop vite arrivée, se promener armé est devenu nécessaire pour survivre, car si l’alcool fait rire, la drogue du zombie fait des ravages. Avant que ne tombe la nuit, je suis allé voir mon père dans son magasin, l’espace est démesuré, je tente de l’aider, il n'en fait qu’à sa tête, je l’abandonne. Puis d’autres maisons, quelqu’un me prend par la main, un couple applaudi, une boutique originale bondée, des fleurs, beaucoup de fleurs. Je quitte le jeu, cherche des raccourcis, des démons me disent d’arrêter de rêver et de redescendre sur Terre. Je retrouve le chemin de ma chambre de bonne au sixième étage d’une vieille bicoque photographiée à outrance par des touristes et pour une raison que j’ignore. La vieille bourgeoise du deuxième m'a expliqué plusieurs fois qu’ils venaient pour moi, mais j’ai du mal à comprendre les raisons de tout cela. En rentrant ce soir-là, entre deux rêves sans intérêt, un animal à la tête et au poitrail de lion, au ventre de chèvre et à la queue de dragon, attendait devant le portillon en crachant des flammes. Il me dit : j’ai une lettre pour vous de la part de Madame Edith Soonckindt. C’est rare qu’une chimère apporte encore des messages de nos jours. L’animal maladroit se brûle la queue par inadvertance. J’ouvre l’enveloppe, je lis le contenu de la lettre à haute voix tout en grimpant jusqu’au sixième : 

“Cher Docteur Lowie,

Je me permets de vous écrire aujourd'hui pour solliciter votre aide et votre expertise unique dans l'interprétation des rêves. Depuis quelque temps, mes nuits sont agitées par des songes récurrents et troublants qui me laissent perplexe à mon réveil. Bien que la plupart d'entre eux ne soient que des fragments décousus, certains rêves ont une intensité et une clarté saisissantes. Ils semblent porteurs de messages complexes que mon esprit conscient peine à déchiffrer. C'est pourquoi j'ai consigné avec le plus grand soin les détails de ces rêves marquants, dans l'espoir que vous puissiez m'aider à en percer le sens caché. Votre approche novatrice et votre compréhension profonde de l'inconscient me donnent l'espoir de trouver des réponses à mes interrogations….”

Essoufflé, paresseux, voyant allumé, éponge émotionnelle, docteur ès songes, je poursuis la lettre d’Edith Soonckindt dans un silence de plomb. Elle m’écrit qu’elle a quelques rêves marquants, beaucoup de cauchemars, quelques rêves prémonitoires, des rêves de Shoah aussi, des rêves. Je n’ai pas envie d’allumer les bougies, ni de brûler de l’encens, je me vautre dans le divan en cherchant la lumière de la lune qui éclaire une partie de mes mains et un bout de feuille calligraphié. 

“….celui qui suit est, pour moi, aussi court qu’étrange, et porteur d’une signification qui m’échappe et que je confie donc avec curiosité à la belle sensibilité du docteur Patrick Lowie, déchiffreur de rêves de son état, et fabricant de nouveaux rêves…”  

La nuit, jamais la nuit. Je sens une présence humaine. Une jeune femme m’attend, un verre à la main. Un autre démon ? Une silhouette que je reconnais vaguement, une pauvre fille qui se croit sorcière, juste une vulgaire impostrice. Je la dégage d’un regard puissant. La séance d’auto-hypnose la confiance en soi fait des miracles. Je ferme tout à double tour. J’essaye d’imaginer Mapuetos, je ferme les yeux, je vois tout, je ne vois rien. Du feu de dragon brûle mon corps, des flammes de gaz brûlent mes livres. Je lis la deuxième page de la lettre d’Edith Soonckindt. Je lis et je la vois : un livre va changer sa vie, naissance, renaissance, l’utérus parle et recrée, les racines nécessaires, ne jamais oublier, rien, les racines et adoucir, adoucir le coeur, l’âme et le coeur, adoucir toujours, aimer, se faire aimer, se laisser aimer. Je la vois dans la jungle, des arbres, beaucoup d’arbres, nous sommes asphyxiés par les arbres, enveloppés de toiles d’araignées, elle sort enfin de sa chrysalide. De la lumière, une clairière, respirer. Sa famille vient de loin, d’Australie, ils se rassemblent, les hommes se rassemblent, prient, aiment, échangent. Des aborigènes aux cheveux bruns et crépus, torses nus, beaux mais aux visages fermés. Ces hommes attendent votre retour, Edith Soonckindt, lui dis-je. Nous sommes en pleine cérémonie initiatique, ils attendent votre retour. Vous êtes partie il y a plusieurs siècles, vos aïeux, la branche de votre père, vos origines sont australiennes. N’ayez crainte, pas de sympathie ici ni d'animosité, ils se demandent si c’est bien vous. Un homme sort du lot, il regarde l’écrivaine, yeux perçants, yeux dans les yeux, deux fins bâtonnets en bois dans le nez, à l’horizontale. Il se reconnaît en elle. Il lui dit : Nous sommes tous des visiteurs de ce temps, de ce lieu ; nous ne faisons que les traverser. Notre but ici est d'observer, d'apprendre, de grandir, d'aimer... Après quoi, nous rentrons à la maison.

Elle comprend, elle se reconnaît elle aussi, c’est troublant, elle est troublée. Elle ne pensait qu’à une seule partie de l’arbre en oubliant toutes les autres. Un orage couvre la lumière, la clairière agrandit la nuit, propulse des mondes oubliés. Elle part avec eux dans la profondeur d’une forêt oubliée. Ils ont attendu des siècles le retour de Od, le combat et la prospérité. L’âme au sein des retrouvailles. Je me sens abandonné, seul dans une forêt qui ne me dit rien. Le couteau en poche, personne ne m’attend nulle part, Mapuetos, l’invisible, ne m’attend plus. Je crie : Mapuetos ! Mapuetos ! emporte-moi ! ne m’oublie pas ! J’entends une musique techno qui remonte et fait vibrer mon corps. Je m’enfonce dans la forêt au risque de me perdre. J’ouvre les yeux. Edith Soonckindt et ses hommes d’Australie sont dans ma chambre de bonne, on étouffe, elle me tend un livre doré : A comme Angot. 


Publications & anecdotes

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Bio

Universitaire française, Edith Soonckindt vit, lit, écrit et traduit à Bruxelles après avoir vécu ici et là (surtout là, en fait). Elle aime Duras, la musique baroque, le chocolat noir et les jours de pluie. Toutes les informations pertinentes, voire essentielles, la concernant sont à cueillir sur le site https://soonckindt.com

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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